Seznec: innocent, forcément innocent ?
La Justice n'est pas seulement sourde, aveugle et folle, elle a également raté une occasion historique de reconnaître son erreur: c'est ce que répètent Denis Le Her-Seznec et bon nombre de chevaliers de la croisade antipénale depuis que la Cour de cassation a refusé de réhabiliter Guillaume Seznec le 14 décembre dernier. Mais si il est évident que notre justice n'est pas parfaite, doit-on affirmer ex-cathedra que celle-ci a commis une erreur en condamnant cet ancien maître de scierie de Morlaix pour le meurtre de son ami Pierre Quémeneur et pour faux en écriture privée, le 4 novembre 1924 ?
Sans parti-pris, le commissaire Guy Penaud a décidé de reprendre l'affaire à zéro, en ne s'appuyant que sur les élements tangibles, irréfutables, et non pas sur des arguments tout droits sortis d'un roman de gare. Fabrication de fausses promesses de vente à son bénéfice concernant le Traou-Nez, la propriété de Quémeneur à Plourivo - les expertises officielles "déterminent l'entière implication du condamné" (p. 160) - tentatives de surbornation de témoins (la lettre reproduite pages 189-190 est édifiante) pour se constituer un alibi : n'en déplaise à ceux et celles qui voient en Seznec une victime, ces éléments ne plaident guère en sa faveur. Méthodiquement, Guy Penaud réfute nombre d'"erreurs manifestes" et "appréciations erronées" (p. 232) de Denis Le Her-Seznec, le petit-fils du condamné, et démonte la thèse du complot policier monté par Pierre Bonny, qui était au centre de la demande de réhabilitation. Bonny n'était certes pas un ange, mais lors de l'enquête sur la disparition de Quémeneur en 1923, il n'était qu'un modeste inspecteur stagiaire (p. 264); par ailleurs, si il a bel et bien été chassé de la police le 10 janvier 1935 et a été l'objet de trois informations judiciaires, il n'a aucunement falsifié des preuves dans l'affaire Stavisky (p. 263). Enfin, contrairement à une légende tenace, Bonny n'a jamais avoué avoir monté un complot contre Seznec: il suffit de lire sa confession écrite remise à son avocat peu avant son exécution pour faits de collaboration en décembre 1944, à aucun moment il n' y est question de machination (p. 273). Hélas, à l'instar du petit-fils Seznec, nombre de médias préférent s'appuyer sur des témoignages de seconde main faisant état de supposés aveux de l'inspecteur, plutôt que de prendre en compte ce document.
Conclusion: "... la machination policière ne pouvant qu'être écartée, l'intervention d'un tiers assassin, faussaire et manipulateur, étant matiérellement impossible, il ne reste qu'un personnage dont la responsabilité ne peut objectivement être écartée." (p. 290). Bref, comme le disait Sherlock Holmes: "Lorsque vous aurez éliminé l'impossible, tout ce qu'il vous reste, même si c'est improbable, est forcément la vérité" La vérité, c'est que Seznec était bel et bien impliqué dans la disparition de Quémeneur, d'une manière ou d'une autre. J'ai dévoré le livre du commissaire Penaud en une nuit, sur mon lieu de travail (ma loge d'agent de surveillance) et je ne saurais trop vous conseiller la lecture de son excellente mise au point sur cette prétendue "Affaire Dreyfus bretonne". Un cadeau de Noël idéal pour les amateurs d'énigmes judiciaires.
Frédéric VALANDRE.
PS: consultez également le site de Marylise Lebranchu (ancien ministre de la Justice de Lionel Jospin, initiatrice en 2001 de la dernière demande de révision en faveur de Seznec), vous pourrez y constater que Bernez Rouz, Michel Keriel, Guy Penaud et moi-même sommes quelque peu vilipendés par certains "seznecistes"...