Arrêt Seznec: une défaite pour la justice médiatique
Le rideau est tombé ce jeudi 14 décembre: la Cour de révision a rejeté la demande de réhabilitation de Guillaume Seznec, estimant qu' il n' y a aucun fait nouveau ou élément inconnu de la juridiction au jour du procès de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.
Petit rappel: en 1923, Guillaume Seznec, propriétaire d'une scierie à Morlaix, s'associe avec son ami Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, pour vendre des voitures américaines aux Soviets. Le 25 mai, les deux hommes quittent la Bretagne à bord d'une vieille Cadillac qu'ils espèrent vendre à Paris à un mystérieux intermédiaire, un Américain se faisant appeler Gherdi. Après quinze heure de voyage et autant de pannes, Seznec et Quémeneur se retrouvent immobilisés à une soixantaine de kilomètres de la capitale. Plus personne ne reverra Quémeneur. Très vite suspecté d’avoir tué son ami, et d’avoir tapé une fausse promesse de vente à son bénéfice (concernant le Traou-Nez, la propriété de Quémeneur située à Plourivo) Seznec est condamné au bagne à perpétuité le 4 novembre 1924 ; finalement gracié en 1946, il est renversé par une camionnette le 15 novembre 1953 et meurt le 13 février 1954. Depuis plus de 80 ans, la famille Seznec se bat pour obtenir la révision du procès, et on ne peut qu'être impressionné par sa combativité, plus particulièrement celle de Denis Le Her-Seznec, le petit-fils de l'ancien forçat. Et je comprends bien la colère qui a été la sienne jeudi dernier lorsque la Cour de révision a rendu sa décision.
Cela dit, cela ne m'empêche pas d'être sidéré par le spectacle donné par le petit-fils Seznec et ses partisans au Palais de Justice de Paris jeudi dernier: injures à l'égard des magistrats en particulier et de la Justice en général, et ce en présence de sa famille, de ses avocats, de quelques acquittés de l'affaire d'Outreau, de Patrick Dils (il ne manquait plus que Richard Roman et Omar Raddad pour faire bon poids), sans même parler des joueurs de biniou et des indépendantistes bretons hurlant "Mort à la France !" (d'après Libération du 15 décembre)... on se serait cru dans un épisode du dessin animé Calimero ("C'est trop injuste, Seznec n'a pas été réhabilité !"), en moins drôle cependant !
Au delà de la question de fond (coupable ou innocent ?) c'est surtout l'argumentation de la défense qui pose problème: selon elle, Guillaume Seznec aurait été victime d'une machination politico-policière, orchestrée par un des enquêteurs de l'époque, l'inspecteur Pierre Bonny, en collaboration avec le fameux Gherdi (pas américain d'ailleurs, c'est un Algérien) que devait rencontrer le duo Seznec-Quémeneur lors de son voyage parisien de mai 1923. Objectif: camoufler le trafic de Cadillac avec l'URSS dans lequel seraient mouillés nombre d'hommes politiques. A l'appui de cette théorie: le témoignage de Colette Noll, une résistante qui affirme que le gestapiste ayant permis son arrestation en 1944 n'était autre que Boudjema Gherdi; Bonny étant lui aussi dans la Gestapo française à l'époque, sans doute les deux hommes se connaissaient-ils, et sans doute étaient-ils déjà de mèche en 1923 pour faire plonger le pauvre Seznec... CQFD.
Tout cela est quand même tiré par les cheveux, et ne permet pas vraiment de blanchir Seznec. Même si on n'a jamais retrouvé le corps de Quémeneur, de sérieux éléments à charge subsistent: je songe aux conclusions de deux expertises réalisées en 2004 sur les deux principales pièces à conviction du dossier d'accusation de l'époque, des faux actes de ventes imputés à Guillaume Seznec et une machine à écrire. Dans les deux expertises, les conclusions sont défavorables à l’ancien maître de scierie. La première conclut que les faux actes de vente ont bien été tapés sur une machine à écrire saisie à son domicile. La seconde établit après examen de photos que la machine à écrire en question est bien du même type que celle qui a été présentée au procès de 1924.
En définitive, l'arrêt rendu jeudi dernier est surtout une défaite pour une certaine justice, la justice médiatique, qui consiste à fabriquer des coupables ou des innocents pour satisfaire une opinion publique en mal de sensations fortes. Pour comprendre les problèmes posés par la réhabilitation de l'ancien bagnard, j'invite à lire le texte de l'arrêt du 14 décembre 2006 mais aussi le petit livre de Michel Keriel Seznec L'impossible réhabilitation qui contient le texte intégral de l'arrêt du 28 juin 1996 rejettant la précédente demande de révision déposée par la famille Seznec.
Frédéric VALANDRE
PS: je vais me procurer prochainement l'ouvrage de Guy Penaud, L'énigme Seznec. Je ferai part de mes commentaires sur ce livre aux lecteurs de notre blog. A suivre...