Un témoignage de première main sur l'affaire Grégory
Les lecteurs du blog savent que je suis un passionné des affaires judiciaires, notamment de celles qui ont eu un fort retentissement médiatique. Aussi, c'est avec le plus grand intérêt que j'ai pris connaissance du livre du colonel de gendarmerie (en retraite) Etienne Sesmat, qui était le premier directeur d'enquête dans l'affaire de l'enlèvement et de l'assassinat du petit Grégory, le fils de Christine et Jean-Marie Villemin, survenu le 16 octobre 1984.
L'objectif de ce témoignage percutant est clair: "contribuer au rétablissement de la vérité" (P 11) sur un drame qui a fait couler beaucoup d'encre. L'auteur entend faire justice des accusations lancées contre les gendarmes : acharnement contre Bernard Laroche, cousin germain de la famille Villemin qui n'était nullement un coupable tiré "par hasard d'un képi" (p. 66), pressions exercées sur la belle-soeur de ce dernier, Murielle Bolle, qui a avoué avoir assisté à l'enlèvement de Grégory par Laroche avant de se rétracter...
Sur ces points précis, la lecture du chapitre III (p. 61-89) est fort instructive.
Le colonel Sesmat ne cache pas son opinion concernant ceux qui ont selon lui orchestré "un procès en sorcellerie" (p. 149) contre Christine Villemin, accusée d'infanticide après la rétractation de Murielle Bolle et l'assassinat de Bernard Laroche par Jean-Marie Villemin. Dans son collimateur: un juge d'instruction influençable et assoiffé de notoriété, Jean-Michel Lambert, et le second directeur d'enquête Jacques Corazzi, de la PJ de Nancy. Les journalistes du "réseau Bezzina" (du nom de feu Jean-Michel Bezzina, correspondant de RTL à l'époque) et les avocats de Bernard Laroche ne sont pas épargnés par l'auteur. En effet, ce sont ces derniers qui ont ouvertement accusé les gendarmes d'avoir joué les "pousse-au-crime" auprès de Jean-Marie Villemin et d'avoir été partie prenante d'un complot d'extrême-droite visant au rétablissement de la peine de mort (p. 94; selon les fantasmes de Me Prompt, ancien résistant communiste qui "voue aux gémonies les forces de l'ordre et le pouvoir en général")!
L'auteur pointe également du doigt les maladresses des avocats du couple Villemin, notamment cette idée de faire paraître, en pleine campagne médiatique "anti-Christine" des photos de celle-ci dans Paris-Match pour renverser la vapeur, ce qui s'averera contre-productif (p. 166-167). S'ajoute à cela que Me Henri-René Garaud a cru bon de demander au juge Lambert de dessaisir les gendarmes pour confier l'enquête au SRPJ de Nancy (p. 194). Le ténor du barreau croyait bien faire - il entretenait de bons rapports avec la police, était l'avocat de plusieurs policiers - et il le regrettera par la suite.
Enfin, l'ancien directeur d'enquête rend hommage au travail des magistrats Maurice Simon (qui a succedé au juge Lambert) et Jean-Pierre Martin (chapitre IX, p. 223-263) qui a permis d'aboutir à un non-lieu définitif en faveur de Christine Villemin le 3 février 1993. Son mari a quant à lui été condamné le 16 décembre de la même année à cinq ans de prison (dont quatre ferme) pour l'assassinat de Bernard Laroche par la cour d'assises de Dijon (p. 285). Etienne Sesmat termine le livre en rappelant la vérité judiciaire sur cette affaire: Christine Villemin est innocente, et "il existe contre Bernard Laroche des charges très sérieuses d'avoir enlevé Grégory Villemin le 16 octobre 1984" (arrêt de non-lieu cité p. 349). Etait-il pour autant l'assassin? L'arrêt de non-lieu ne le dit pas, et, à juste titre, l'auteur n'entend pas accabler un mort qui n'est plus là pour se défendre. Saura t-on un jour qui a tué le petit Grégory? "Bien qu'il soit permis et légitime de l'espérer, les derniers pas vers la vérité ne se produiront peut-être jamais." répond le colonel Sesmat (p. 351). En attendant de découvrir cette vérité, nous ne pouvons que conseiller la lecture de ce témoignage de première main sur l'une des plus retentissantes affaires criminelles de notre époque.
Frédéric VALANDRE.